28 janvier 2022 à 9h56 par Marc-Antoine Vallori 1 933 0
[Reportage] Démos, la partition sans fausse note
28 janvier 2022 à 9h56 par Marc-Antoine Vallori1 9330
Insufflé au niveau national par la Philharmonie de Paris pour les enfants issus de quartiers relevant de la politique de la ville, le Dispositif d’éducation musicale et orchestrale à vocation sociale (Démos) démontre son utilité à Mulhouse. Ce qui pouvait apparaître comme un pari, voire une utopie, au départ de l’aventure, est aujourd’hui une réalité pour une centaine d’élèves de CM2 et une quarantaine de collégiens.
« C’était très bien là, on reste concentré… » « On reprend sur le tempo, vous étiez derrière moi… » « Cette fois, on va jusqu’à la mesure 29… » Il faut le voir pour le croire. Ou plutôt l’entendre. En observant, ce mercredi matin de janvier, la centaine d’enfants du dispositif Démos, comprenez Dispositif d’éducation musicale et orchestrale à vocation sociale, en répétition dans les locaux du Conservatoire, difficile d’imaginer qu’ils étaient parfaitement novices à la rentrée 2019. C’est pourtant il y a deux ans et demi à peine, que tout a commencé pour eux, en classe de CE2. Insufflé depuis 2010, au niveau hexagonal, par la Philharmonie de Paris, Démos, c’est d’abord un formidable projet de démocratisation culturelle s’adressant à des enfants issus de quartiers relevant de la politique de la ville ou de zones rurales insuffisamment dotées en institutions culturelles.
Démocratisation culturelle
Après la première génération (2017-2019), Démos 2 rassemble aujourd’hui, à Mulhouse, plus d’une centaine d’enfants de CM2 de sept écoles, réparties aux quatre coins de la ville, avec pour chacune sa famille d’instruments : cordes pour les écoles Drouot, Dornach, Victor Hugo et Pergaud ; bois pour Wolf et Wagner ; cuivres pour Kleber. « Même s’ils aiment, au départ, la musique et chanter pour la plupart, les enfants qui ont intégré le dispositif en classe de CE2 étaient tous débutants et éloignés des institutions culturelles et de la musique classique. Ils ont intégré le dispositif sur la seule base du volontariat, après évidemment un entretien avec les parents. L’implication de ces derniers est déterminante pour que ça fonctionne. L’enjeu porte sur la démocratisation culturelle centrée, dès le début, sur la pratique musicale en orchestre pour les enfants, qui donne toute sa singularité au dispositif », résume Hélène Coquillaud, coordinatrice des Actions d’éducation artistique et culturelle au Conservatoire de la Ville, co-pilote du dispositif avec la Philharmonie de Paris, l’Education nationale et la Caisse d’allocations familiales (lire par ailleurs).
Aventure au long cours
Si, sur le papier, Démos peut susciter bien des envies, dans les faits, s’inscrire dans ce dispositif est une aventure au long cours nécessitant un vrai investissement, à raison de deux ateliers de pratique par semaine (deux heures durant le temps scolaire dans les écoles et 1h30 sur le temps périscolaire), en sus des rassemblements collectifs (tutti), toutes les six semaines en moyenne, mais aussi des invitations à des concerts et des spectacles qui font partie intégrante des apprentissages. Le tout encadré par 25 enseignants du Conservatoire, des écoles de musiques et de l’Orchestre symphonique de Mulhouse. « Démos, c’est un apprentissage long et particulier avec des réflexes d’orchestre qui s’installent au fil du temps. Si la situation sanitaire ne nous a pas facilité la tâche, tous les enfants ont sacrément progressé depuis le départ, souligne Amicie Ganvert, professeur de violoncelle au Conservatoire et dans le cadre de Demos. Comme n’importe quels élèves qui débutent, on leur apprend les bases, de la posture avec l’instrument à la lecture de notes… Ce qui change avec Démos, c’est vraiment l’aspect collectif, les faire travailler ensemble, être à l’écoute des autres… Au-delà de la pratique, Démos ouvre les enfants vers un nouveau monde auquel ils n’avaient pas forcément accès ! »
Révélation
Pour Agjelo, contrebassiste en herbe, Demos aura été une vraie révélation : « En CE2, j’ai fait le choix de la contrebasse, je me suis rapidement senti à l’aise avec cet instrument. En plus des séances dans le cadre de Démos, je m’entraîne à la maison au moins trois fois par semaine, ça me plaît et j’aimerai trop en faire mon métier plus tard. » « Il ne s’agit pas de comparer, mais je trouve que certains élèves du dispositif Démos s’en sortent très bien, au regard de certains qui intègrent le Conservatoire en étant poussés par leurs parents. C’est une fierté de voir ces élèves évoluer, c’est très fort », explique Marie Asselin-Arrignon, professeur de contrebasse au Conservatoire et dans le cadre de Démos Mulhouse, l’un des 45 dispositifs du même type en France.
A la Philharmonie de Paris, en juin
Et comme Démos a de la suite dans les idées, le dispositif s’étend aussi aux collèges. À Mulhouse, 75% des élèves de la première cohorte (2017-2019) poursuivent ainsi leur cursus au sein du dispositif Démos-Conservatoire. « Cela représente 42 enfants, répartis dans cinq collèges (Bourtzwiller, Jean Macé, Wolf, Saint-Exupéry et Bel Air), qui ont, chaque jeudi, leur après-midi libéré pour se consacrer à la musique. S’ajoutent un cours de 30 mn par semaine de pratique musicale individuelle, mais aussi six tutti à l’année… », poursuit la coordinatrice, Hélène Coquillaud. Précision qui coule de source mais néanmoins utile à surligner : le dispositif Démos, qui inclut le prêt d’un instrument, est gratuit pour les familles et coûte 30 euros par trimestre aux collégiens, invités à poursuivre leur cursus au lycée, à partir de la rentrée 2024, en intégrant la classe option musique au lycée Albert Schweitzer. Mais pour l’heure, cap sur les répétitions et sur la fin d’année scolaire avec deux concerts au programme des orchestres Démos, au Théâtre de la Sinne d’abord pour les collégiens (22 mai) et celui déjà présent dans toutes les têtes des élèves, comme des équipes pédagogiques et des partenaires : le 18 juin, Démos Mulhouse s’exportera à la Philharmonie de Paris !
La phrase
« C’est ma fille qui a fait le choix de se lancer dans le dispositif, après en avoir entendu parler à l’école en classe de CE2. Je suis très fière d’elle. Même si avec la situation sanitaire, ça a été un peu plus compliqué, Sélène a réussi à allier école et pratique musicale dans le cadre de Démos. Pour la suite au collège avec Démos-Conservatoire, on se laisse encore le temps de réfléchir… »
[Maman de Sélène, école Wolf]
La CAF du Haut-Rhin, un partenaire historique majeur
La réussite mulhousienne de Démos repose aussi sur un partenariat fort entre la Philharmonie de Paris, la Ville et l’Éducation nationale, mais également la Caisse d’allocations familiales (CAF) du Haut-Rhin, co-pilote du projet. Avec une enveloppe de 330 000 euros apportés au dispositif depuis sa création en 2017, dont 60 000 euros cette année, la CAF du Haut Rhin est un acteur historique majeur du dispositif Démos.
« Ce projet nous a séduit dès le départ, notamment pour ses objectifs en matière d’accompagnement, de soutien et de renforcement du lien enfants-parents. Ces derniers sont des acteurs majeurs de la réussite de Démos. Au-delà de l’accès à la culture, on sait aussi, avec le recul, que Démos favorise, bien souvent, la réussite scolaire des enfants. Il nous a paru primordial, dès sa genèse, que Démos ne s’arrête pas à la classe de CM2 mais se poursuive au collège dans le cadre de Démos Conservatoire, que nous finançons à hauteur de 15 000 euros en 2022 (Ndlr : 20 000 euros en 2021 et 25 000 euros en 2020) », souligne Jacques Rimeize, président de la CAF du Haut Rhin, depuis dix ans et encore jusqu’au 31 janvier prochain.
« Nous sommes convaincus que la réussite de Démos à Mulhouse repose notamment sur l’implication des parents. Sur les 115 enfants inscrits au départ en classe de CE2, seuls six ont arrêté, dont quatre pour cause de déménagement, ce qui fait de Mulhouse l’une des villes présentant le meilleur taux de réussite de France », poursuit Luc Chervy, 1er vice-président de la CAF du Haut-Rhin et référent du projet Démos.
Le financement du dispositif Démos fait partie d’une enveloppe de 85 millions d’euros que la CAF du Haut-Rhin consacre, chaque année, à l’action sociale (centres socioculturels, accueils de loisirs sans hébergement, opération « Sac ados », dispositif Unis Cité…). Une facette de la CAF moins connue du grand public que celle des prestations légales classiques (prestations sociales, RSA, allocations logement, allocation adulte handicapé, allocation rentrée scolaire…), qui s’élèvent à 855 millions d’euros, mais tout aussi indispensable.
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